Entretien avec Rémi et Sylvie Boyer

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À travers de nombreux témoignages, Rémi et Sylvie Boyer nous rappellent dans leur dernier opus combien les Compagnons, qu'ils soient boulangers, facteurs d'orgue, menuisiers ou tailleurs de pierre, nous enseignent et nous éveillent. Cette voie de l'éveil, les deux auteurs n'ont de cesse de l'explorer dans les sillons tracés par les avant-gardes comme les philosophies de l'éveil dans une alliance naturelle.
Limas de Freitas dont les peintures ornent généralement leurs ouvrages ne disait-il pas, peu avant sa disparition, que «  les avant-gardes ouvrent une brèche dans l'opacité afin que les traditions passent  ».
Dans cet entretien, Rémi et Sylvie Boyer évoquent leur rencontre littéraire et  l'orientation de leur recherche qui relève des voies internes.



Depuis quelques années, vous rédigez ensemble.  Parlons de votre rencontre littéraire : Qu’est ce qui a déclenché votre première écriture commune pour Lettres aux amis de l’Esprit ?

Rémi  : Nous avons toujours conduit nos recherches ensemble et l’écriture à quatre mains s’est imposée lors de la période de restriction des libertés pendant la pandémie de 2020. Afin de maintenir un lien et une dynamique avec des cercles initiatiques divers, nous avons proposé deux sessions de vingt lettres hebdomadaires sur des sujets traditionnels. Ces Lettres aux Amis de l’Esprit s’adressaient à des groupes maçonniques, martinistes, pythagoriciens, rosicruciens, swedenborgiens et à des individus en recherche mais isolés. Les Lettres furent diffusées chaque semaine simultanément en anglais, espagnol, français, italien et portugais. Nous avions beaucoup de retours et de questions qui appelaient et enrichissaient de nouveaux sujets.  Le livre Lettres aux Amis de l’Esprit rassemble ces Lettres augmentées d’un Petit Traité de Christification des Êtres. Le livre fut lui aussi diffusé simultanément en plusieurs langues. Ce fut une belle expérience d’exploration et de partage.

Sylvie : En fait, notre première écriture commune d’un livre remonte à la première édition de Mystérique du Tango en 2008. Cela est venu naturellement puisque nous pratiquions ensemble l’art du tango. Mais en réalité, nous écrivons ensemble notre vie depuis que nous nous sommes rencontrés.

Écrire en duo est plutôt de l’ordre du défi ou du plaisir ?

Rémi  : Écrire est toujours un défi pour un auteur. Si ce n’est plus un défi, c’est que la routine a fait fuir l’esprit ou les muses. Écrire en duo est un plaisir et toujours une découverte renouvelée de l’autre et de soi-même.

Sylvie  : Nous avons expérimenté plusieurs modalités d’écriture à deux, offrant chacune de nouvelles possibilités. Écrire à deux est un partage, chacun proposant à l’autre de nouvelles voies. Cela fait partie de notre vie.

Les sujets des ouvrages publiés à la Tarente relèvent de différents champs ou disciplines, artistiques, comme les avant-gardes, philosophiques ou initiatiques. Les voies d’éveil y sont explorées avec insistance. Comment créer une alliance entre les philosophies de l’éveil et les avant-gardes artistiques ?

Sylvie : Cette alliance est naturelle. Lima de Freitas, dont les peintures ornent généralement nos ouvrages, nous a dit, peu de temps avant sa disparition  :  «  Les avant-gardes ouvrent une brèche dans l’opacité afin que les traditions passent  ». Rabelais et Cervantes écrivirent «  à rebours  », en mode dionysiaque, des textes alors d’avant-garde, ils le demeurent, pour transmettre un enseignement traditionnel. Caravage a bousculé les codes pour dire l’humanité de Dieu et le continuum de la chair à l’Esprit. Les avant-gardes comme les philosophies de l’éveil traquent les intervalles dans l’auto-narration pesante et artificielle du monde comme des personnes pour laisser passer la Lumière.

Rémi  : Quels que soient les thèmes abordés et les univers explorés (celui de la danse et du chant comme celui de la Franc-maçonnerie), l’orientation de notre recherche est toujours non-dualiste et relève des voies internes. Nous avons regroupé plus particulièrement  dans La Voie des sans maîtres un ensemble de textes non-dualistes à vocation opérative comme métaphysique. Les approches non-dualistes ne sont pas spécifiquement extrême-orientales comme le pensent encore certains. En Egypte antique, Isis est l’égale de Rê. L’Islam iranien de Rûmî et Schams de Tabriz, par exemple, est non-dualiste. Et puis Joachim de Flore, Nicolas de Cues, Giordano Bruno, Rabelais, Cervantes, Spinoza, Maître Eckhart, tant d’autres… En réalité, toute tradition initiatique comme toute véritable pensée, même d’expression nettement dualiste, se réalise dans un accomplissement non-duel.

Avec Serge Caillet et Denis Labouré, vous avez fait partie des cercles rapprochés de personnages comme Robert Ambelain et Robert Amadou. Quels héritages ont-ils laissé dans votre démarche ?

Rémi  : Ces Frères aînés ont laissé des œuvres qui font partie du patrimoine initiatique mais c’est davantage leur présence et leur action qui furent déterminantes. Nous pouvions prendre appui sur la solidité de leur expérience et de leur sagesse. Nous avons peu fréquenté Robert Ambelain, beaucoup Robert Amadou dans une collaboration très étroite qui dura plus d’une dizaine d’années et prit de multiples formes, du culturel à l’interne. Mais, d’autres Sœurs et Frères aînés, d’autres veilleurs, ont compté et compte encore, Lima de Freitas dont nous parlions tout à l’heure, son épouse Helle Hartvig de Freitas, Jacqueline et Claude Bruley, Jean-Louis Larroque, invisible mais décisif, et encore aujourd’hui Guy Thieux ou Witold Zaniewicki.

Le dernier livre paru à la Tarente traite de Compagnonnage, celui des métiers. Un très bel ouvrage sur la vie des Compagnons, avec des témoignages poignants, loin des recherches historiques toujours sujettes à polémiques. Pourquoi vous a-t-il paru essentiel de faire parler des Compagnons ?

Sylvie  : Depuis plus de trois décennies maintenant, nous cheminons avec des Compagnons ou les croisons régulièrement sur des chemins initiatiques et artistiques, classiques ou buissonniers. Ils nous ont beaucoup appris avec une parole rare et discrète. Ils nous ont surtout beaucoup démontré, avec humilité. Le Compagnonnage nous semble la pierre angulaire de l’édifice traditionnel et initiatique occidental. Il apparaît vital. Avec ce livre, nous avons voulu leur redonner la parole, à eux qui vivent et transmettent les valeurs du Compagnonnage à travers leurs actes et leurs paroles mais sans bien souvent avoir le temps de les écrire.

Rémi  : Nous vivons dans un monde où le discours universitaire ou académique a pris le pas sur le vécu et l’herméneutique traditionnelle, y compris parfois dans le cadre initiatique or, ces discours savants, souvent rigoureux et pertinents, permettent éventuellement de cerner un sujet, pas de le pénétrer. Et cela est singulièrement vrai pour le monde de l’initiation et le monde de l’art. Pour pénétrer réellement un sujet, il faut puiser dans l’expérience humaine, dans le quotidien, parfois même dans une apparente banalité qui véhicule en réalité une sagesse profonde. C’est cela que nous voulions faire émerger comme un rappel à l’importance des noblesses populaires.

Vous avez des projets avec la Tarente. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Nous avons quelques projets. Nous n’en parlerons pas aujourd’hui. Attendons le bon moment.

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