Entretien avec Alain Mucchielli

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Auteur reconnu dans le domaine de la Franc-Maçonnerie et de l'alchimie, Alain Mucchielli nous a offert avec son dernier opus L'Alchimie de l'Être, une exploration captivante des correspondances profondes entre la tradition alchimique, les rituels maçonniques et les concepts fondamentaux de la psychologie des profondeurs de Carl Gustav Jung. Dans cet entretien, l'écrivain, chimiste et biochimiste de formation devenu médecin généraliste puis spécialiste, nous livre sa vision de l'alchimie qui ne saurait se limiter selon lui au seul travail physique de manipulation des matières premières.


La Tarente  : Votre carrière dans l'écriture est sommes toutes assez récente puisque votre premier ouvrage ne date que de 2019. Mais depuis vous avez rattrapé le retard puisque aujourd'hui vous avez commis huit livres, tous parus aux Éditions de la Tarente. On y distingue deux fils-conducteurs : le Rite Français et l'Alchimie. Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire autant en si peu de temps ?


J’ai effectivement eu une vie professionnelle et maçonnique très remplie, notamment en tant que membre du Grand Orient de France pendant près de 45 ans. Au fil des années, j’ai accumulé d’innombrables notes, observations et réflexions sur ce que je voyais et vivais autour de moi. Ces écrits personnels sont devenus une sorte de journal de bord, nourri par ma passion pour le Rite Français et l’Alchimie, deux piliers essentiels de mon travail.
Depuis 2019, j’ai ressenti le besoin de transmettre ce que j’avais appris pour partager cette connaissance  : écrire ces huit ouvrages en si peu de temps a été une manière de rassembler et de structurer ces années de réflexion, afin de les rendre accessibles à ceux qui, comme moi, cherchent à approfondir ces sujets.


La Tarente  : Quelle est votre approche de l'alchimie ? Car à la lecture de vos livres sur ce sujet, il semble que ce n'est pas le fourneau qui vous anime.


Tout dépend de ce que l’on entend par « fourneau ». Je connais de véritables confrères alchimistes, souvent très discrets, qui ont des fourneaux bien à eux, très particuliers, comme un peintre pourrait avoir sa palette ou un poète ses mots. Pour eux, le travail physique de manipulation des matières premières est essentiel, et leur savoir-faire est unique. Mais là encore, je vous laisse le choix de la définition de ces matières premières.
Pour ma part, l’alchimie ne se limite pas à cet aspect. Elle s'étend à une connexion plus large avec la Nature  : toucher les pierres et les minéraux, observer les plantes et les arbres, ou encore comprendre les animaux qui peuplent notre Monde. Cette démarche a quelque chose de profondément chamanique, car elle nous relie au vivant dans toute sa diversité et sa richesse.
En même temps, mon approche de l’alchimie est avant tout intérieure, proche de la psychologie des profondeurs. Tout comme la franc-maçonnerie, elle repose sur la quête socratique du « Connais-toi toi-même ». Ces différentes dimensions - le travail physique, la connexion à la Nature et la quête intérieure - ne s’opposent pas mais se complètent. Celui qui s'engage dans l'une peut s’appuyer sur les autres pour avancer sur son chemin. Comme le disait Pierre Dac avec humour  : « Tout est dans tout et réciproquement ».


La Tarente  : Pourrait-on dire que l'alchimie « opérative » et l'alchimie « spirituelle » n'ont en commun que le mot alchimie ?


Votre question est intéressante car d’emblée elle montre le poids des mots et la différence entre « signifiant » et « signifié ». On pourrait effectivement établir une distinction forte entre l'alchimie opérative et l'alchimie spirituelle. Pour ma part, je connais bien ces deux approches, mais je ne pratique ni l’une ni l’autre de façon traditionnelle. L’alchimie opérative, telle qu’elle a été pratiquée autrefois, a évolué pour donner naissance à la chimie moderne avec Lavoisier, ce qui en a quelque sorte marqué la fin de son ère. Quant à l’alchimie spirituelle, elle est souvent réinterprétée ou récupérée par des courants mystiques dont je ne partage pas toujours la démarche ou les finalités. Même si dire que la Pierre philosophale est le Christ ne me choque pas particulièrement dans la mesure où, là encore, on est capable de définir les mots.
Je m’inscris plutôt dans une recherche d’alchimie spéculative, que je rapproche de la franc-maçonnerie spéculative par rapport à la maçonnerie opérative. Dans les deux cas, il s'agit d'un travail de transformation intérieure, symbolique et philosophique, qui s’inspire de concepts anciens tout en les réinterrogeant pour les adapter à une quête contemporaine de sens et de connaissance de soi.


La Tarente  : Comment avez-vous fait la connaissance de Jung ?


Mon lien avec Jung est une double histoire. Depuis très longtemps, je suis attiré par la psychologie et la psychiatrie. Déjà pendant mes études de médecine, que j’ai commencées sur le tard, j’avais choisi d’effectuer un stage comme externe en psychiatrie. À cette époque, j’ai lu à peu près tout ce qui existait dans ce domaine.
Par la suite, mon entrée en franc-maçonnerie m’a conduit à découvrir l’alchimie. Mon premier travail d’apprenti s’intitulait Vitriol, quelle impudence  ! Pendant plusieurs années, alors que je travaillais comme chimiste, j’ai acheté de nombreux livres sur le sujet et tenté de reconstituer les réactions chimiques décrites par nos ancêtres. Ces efforts, bien sûr, se sont révélés infructueux. Parmi ces ouvrages, j’avais acquis Mysterium Coniunctionis de Jung, mais je l’ai vite relégué dans un coin, le jugeant à l’époque illisible.
Et puis un jour, au cours d’échanges psychothérapeutiques, j’ai découvert une phrase de Jung qui a tout bouleversé : «  Pour de nombreux alchimistes, l'aspect allégorique occupait sans conteste le premier plan, à tel point qu'ils étaient fermement convaincus que leur seule préoccupation était les substances chimiques. Mais il y en a toujours eu quelques-uns pour qui le travail de laboratoire était avant tout une affaire de symboles et de leur effet psychique.  »
Cette formule a été un véritable déclic. J’ai repris tous mes ouvrages d’alchimie avec cette nouvelle grille de lecture, et soudain tout est devenu limpide pour moi  : l’alchimie n’était pas seulement une quête matérielle, mais une œuvre intérieure. De là, j’ai également compris combien cette démarche résonnait avec la franc-maçonnerie. Jung a ainsi offert un pont entre ces deux univers, transformant ma compréhension de l’un et de l’autre.


La Tarente  : Vos cinq livres sur l'alchimie suivent la progression selon le Rite Français de 1794. Croyez-vous que les créateurs de ce rite avaient en tête cette progression quand ils ont écrit ces rituels ?


Les codificateurs du Rite Français dans les grades bleus ont repris le Rite Moderne des Anglais avec tout ce que les constitutions d’Anderson de la première heure ont de libre et d’universel. Les Anglais ont inventé bien avant nous la liberté de conscience et la tolérance religieuse. Les codificateurs français n’ont fait qu’unifier les différentes versions qui existaient sur le territoire national et en ont fait une arme redoutable d’unification de l’obédience.
En ce qui concerne les hauts-grades du Rite Français, Roëttiers de Montaleau et son équipe ont employé le même procédé  : mais là le travail a été plus délicat car les degrés écossais - ceux situés après les grades symboliques - consistaient en une véritable forêt de rituels. Leur génie a été de construire ce corpus complet, porteur d’un véritable message initiatique de libération en évitant les dogmes et en respectant une sorte de religion naturelle propre à l’esprit des Lumières. Je pense sincèrement qu’Alexandre Roëttiers de Montaleau était un visionnaire.


La Tarente  : Votre dernier né, l'Alchimie de l’Être, est sorti il y a peu de temps. Peut-on dire que vous clôturez avec cette synthèse vos travaux sur l’alchimie ?


Au contraire, je vois ce livre comme une préquelle. Jusqu’à présent, j’ai beaucoup écrit sur les liens entre l’alchimie et la franc-maçonnerie, mais en relisant mes travaux, je me suis rendu compte qu’il manquait une introduction claire, un cadre initial pour comprendre ces concepts et leur interconnexion.
Avec L'Alchimie de l’Être, j’ai voulu poser les bases : explorer les fondements de l’alchimie dans une perspective à la fois philosophique, psychologique et symbolique, et montrer comment cette démarche s’applique à la transformation intérieure de l’être humain. Ce livre est donc une sorte de point de départ pour une réflexion qui, à mon sens, est encore loin d’être achevée.


La Tarente  : Et enfin, pour clore cet entretien, à la suite du Vade Mecum du Rite Français, la Re-naissance du 5e Ordre nous livre une facette de votre recherche maçonnique : reconstituer ce 5e Ordre pour lequel il n'existe que des fragments. Pourquoi avez-vous entrepris cette recherche ?


J’ai entrepris cette recherche par reconnaissance envers ceux qui m’ont transmis ce rite avec générosité et conviction. Avant de quitter ce monde, ils m’ont fait comprendre qu’en loge existe une voie singulière, échappant à l’opposition entre cléricalisme dogmatique et laïcité strictement politique. Cette voie, magnifiquement incarnée par le Rite Français/Moderne, est ce que j’appelle la spiritualité laïque.
Ce concept, qui réconcilie quête spirituelle et liberté de conscience, résonne profondément avec ma philosophie personnelle. Il offre une approche équilibrée, permettant d’explorer les grandes questions humaines sans tomber dans le carcan des dogmes ni se réduire à une vision strictement matérialiste ou institutionnelle.
C’est dans cet esprit que j’ai évoqué la reconstitution du 5e Ordre, une démarche que nous avions entreprise ensemble dès le milieu des années 1990, en nous appuyant sur les fragments existants, non pour figer une tradition, mais pour lui redonner souffle et continuité. Car la tradition n’est pas un vestige rigidifié du passé, mais une dynamique vivante, façonnée par ceux qui la font vivre chaque jour.

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