Rémi Boyer nous parle de la Voie des sans maîtres
Nous sommes heureux de cette nouvelle collaboration avec Rémi Boyer qui n’a de cesse de défricher les chemins vers la Liberté. Et pour vous présenter son dernier ouvrage qui paraît aux Éditions de la Tarente, rien de mieux que l’écouter nous en parler.
La Tarente : Pour faire écho à Lima de Freitas, en quoi ton livre peut-il être qualifié d’avant-gardiste ?
Rémi Boyer : Lima de Freitas fut un penseur, artiste et hermétiste majeur de la seconde partie du siècle dernier. Il a laissé une œuvre considérable, picturale et écrite. Il a par exemple résolu l’énigme du Point de la Bauhütte et exploré le 515 comme nul autre. Lors d’un échange, il m’avait en une seule phrase exprimé la relation entre avant-gardes et Tradition : « Les avant-gardes percent l’opacité pour que la Tradition passe. » Le plus ancien que l’ancien apparaît d’avant-garde. « Avant l’ancien », signifie « avant la forme » et ce sont bien les formes figées, qui nous enferment, qu’attaquent les avant-gardes afin de libérer l’esprit et la créativité. Les textes rassemblés ici s’inscrivent dans l’alliance entre traditions et avant-gardes. D’un point de vue traditionnel, ils relèvent d’une métaphysique non dualiste classique, mais leur formulation peut apparaître d’avant-garde ou transgressive. Au cœur des voies d’éveil, il n’y a que Liberté. Toute voie réelle vers la non-dualité transgresse la dualité avant de l’inclure dans un paradigme infiniment vaste.
La Tarente : Ton livre est largement illustré d’encres et de dessins, dont certains pourraient nous attirer les foudres de puritains d’un autre temps… mais parle-nous de ces illustrateurs qui font vivre la Voie des sans maîtres de fort belle manière.
Rémi Boyer : Françoise Pelherbe est une artiste totale exceptionnelle. Elle parcourt le monde pour recueillir des chants traditionnels et les offrir à des auditeurs enchantés par sa voix, mais elle dessine aussi des univers symboliques remarquables et écrit des textes puissants et magnifiques. Chez elle, la fonction poétique réalise ce qu’il y a de plus profond dans l’expérience humaine. Elle est aussi instructeur taoïste. Chacun de ses dessins peut être pénétré de multiples manières, à chaque fois un nouveau chemin symbolique se déploie. La nudité ou la sexualité exposée rappelle qu’il n’y a aucune séparation et rien à rejeter. La chair peut être un tapis de méditation ou de prière. Il y a continuum de la chair à l’Esprit. On peut encore y voir l’action du dieu grec Epaphos, le dieu du toucher. Tout est toucher.
Jean-Gabriel Jonin nous a malheureusement quittés en 2014. Jean-Gabriel Jonin est un peintre de la Transparence, autre manière de dire un peintre de l’Imaginal. Sa peinture très initiatique vogue sur les apparences pour mieux les traverser. Techniquement, Jean-Gabriel Jonin est bien l’élève doué de Salvador Dali dont les transparences demeurent inégalées. L’art de la transparence trouve tout son sens dans les gouaches aquarellées de Jean-Gabriel Jonin, dans lesquelles la valeur prime sur la couleur. Le Prédicateur sort de la Transparence absolue, pour guider le pèlerin dans les méandres de la mémoire jusqu’à l’Imaginal, cueillir la Fleur de Mythologie, jusqu’à la rencontre avec Penta-Guné, le vêtement étoile. Initiatiquement, la transparence nous renvoie à l’Apparaître des mondes. L’œuvre ne saurait apparaître hors de la conscience de l’artiste, comme les mondes ne sauraient exister hors de notre conscience.
La Tarente : La voie des sans maîtres n’est pas qu’une compilation de textes poétiques. Elle nous trace le chemin vers l’Éveil. Comment passer de sa lecture à cette opérativité qui doit nous mener vers la Liberté ?
Rémi Boyer : Ces textes, que ce soient des incisions dans la pensée conditionnée pour laisser passer la lumière ou des emboîtements poétiques qui agissent comme une vague sont aussi très techniques. Il y a du jaillissement et il y a de l’enseignement à travers les mythèmes associés qui toujours véhiculent les opérativités, au-delà des aspects culturels. La clef de toute approche initiatique ou métaphysique est la méditation sur le Vide. Quand il n’y a plus « personne », l’œuvre se déploie naturellement, les mots orientent, ils ne sont que des jalons destinés à donner le pressentiment du Grand Réel ou à nous inviter à nous souvenir de ce que nous sommes, à reconnaître notre véritable nature, originelle, ultime, absolument libre.
L’œuvre photographique de Sylvie Boyer-Camax, choisie pour la couverture du livre, rend parfaitement compte de ce qu’est une voie initiatique, une voie de libération même de la libération, une voie qui, peu importe sa forme culturelle, conduit toujours de la dualité à la non-dualité.