L'épopée des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte
Dominique Vergnolle sort son deuxième livre aux Éditions de la Tarente. Comme pour le précédent, il se livre au jeu des questions-réponses au sujet de l’Épopée des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte et de leur Profession :
La Tarente : Peux-tu nous dire quelques mots sur le fonds Charles de Hesse des archives maçonniques danoises dont tu t’es servi pour ton ouvrage ?
Dominique Vergnolle : Le fonds Charles de Hesse est la collection maçonnique la plus importante de l’Ordre danois des francs-maçons — Grande Loge du Danemark dont il constitue près de la moitié des archives. Il est constitué de livres, actes, études, rituels et correspondances qui totalisent près de 170 000 pages manuscrites et imprimées. À l’origine, une grande partie des documents était la propriété du duc Ferdinand de Brunswick, Grand Supérieur puis Grand Maître de l’ordre templier réformé allemand. Ils furent transférés au prince Charles de Hesse-Cassel, gouverneur de duchés sous la couronne danoise, lors de sa succession à la tête des deux provinces allemandes après la disparition du duc Ferdinand. Il y adjoint alors les nombreux documents en sa possession. Ce fonds est particulièrement intéressant, car il recèle les actes et comptes rendus des séances du convent de Wilhelmsbad ainsi que les rituels adoptés à cette occasion ou quelques années plus tard. Mais surtout, y est conservée la volumineuse et très régulière correspondance entretenue par Charles de Hesse et Jean Baptiste Willermoz. Ce fonds a été mis à ma disposition par le grand archiviste de l’ordre danois sans lequel l’épopée n’aurait pu être contée. En effet, c’est sur ces documents, pour la plupart inédits, que s’appuie une grande partie du récit.
La Tarente : Peux-tu nous parler des ambitions de Willermoz lors de ses premiers contacts avec le Baron de Hund ?
Dominique Vergnolle : Jean-Baptiste Willermoz a toujours recherché le but fondamental de la maçonnerie. Il était déçu par celle de son siècle. À son sens, on promettait beaucoup dans les nombreux grades écossais, on philosophait beaucoup, mais on recevait peu. La maçonnerie perdait pour lui beaucoup d’attrait. Il avait cependant trouvé, dans le système particulier des Élus Coëns de Martines de Pasqually, de hautes connaissances qui pourraient être en rapport avec le but primitif de cette noble institution. Mais, comment faire la jonction avec une maçonnerie solide pouvant lui servir d’arche ? Informé de l’existence du système réformé allemand, Willermoz avait alors supposé et projeté deux choses : découvrir dans ce nouveau système templier des connaissances précieuses, qui pourraient compléter les siennes ; et parfaire ledit système en y déposant ses propres enseignements qui pourraient sinon finir par se perdre. L’alliance d’un dépôt scientifique à un système solide, ayant gagné en respectabilité dans le Saint-Empire romain germanique, représentait un enjeu spirituel autant que politique dans un monde maçonnique français chahuté. Peut-être même pourrait-il donner de nouvelles lettres de noblesse à l’institution ? C’est dans ce contexte qu’il entra en contact avec le baron de Hund, chef de file et inspirateur du Saint Ordre réformé allemand dont il était Grand Maître pour la VIIe province, seule vraiment réveillée à cette époque.
La Tarente : Quelle est la place de l’Ordre du Temple suite au Convent des Gaules puis celui de Wilhemlsbad ?
Dominique Vergnolle : L’ordre réformé allemand, organisé en deux classes symbolique et équestre, se disait successeur du Saint Ordre templier. Il avait pour objectif de rétablir ce dernier pour en récupérer les prébendes et autres avantages matériels qui permettraient le financement d’un plan économique se disant hospitalier. Hund avait tenté de justifier la filiation directe à l’Ordre du Temple par une patente illisible et des contacts avec des supérieurs qui resteraient à jamais inconnus. Nul ne put véritablement confirmer ce récit et cette filiation ni les infirmer d’ailleurs. Cependant, en France en 1776 comme en Allemagne peu de temps après, cette supposée filiation commence à poser un problème politique. Est-il possible de revendiquer la succession et prétendre à la restauration d’un ordre aboli par le roi et le pape ? Faut-il au contraire renoncer à toute succession ? Peut-on conserver une notion de filiation ? Le convent français des Gaules, de 1778, apporta des réponses à ces questions en rectifiant la réforme allemande. Plus tard, les évolutions politiques au cœur du Saint-Empire, l’arrivée de systèmes concurrents revendiquant aussi une filiation templière, ainsi que l’esprit des Lumières nécessitèrent une nouvelle réforme au niveau de l’Europe continentale. Dans ce contexte, devait-on abolir l’ordre ou le réformer de nouveau en conservant une filiation ? La maçonnerie devait-elle être conventionnelle et humaniste ou spirituelle ? Ces sujets, souvent houleux, furent au cœur des débats du convent général de Wilhelmsbad de 1782.
La Tarente : Pour quelles raisons traites-tu de l’après-Wilhelmsbad, de 1782 à 1787 ?
Dominique Vergnolle : À l’issue du convent général, l’Ordre était bien constitué dans ses nouveaux principes, ses lois générales, son organisation et ses rituels sont établis. Il restait cependant à achever l’édifice en finalisant les rituels et instructions, et plus particulièrement ceux de l’ordre intérieur équestre qui étaient restés à l’état d’esquisse. Pour cela, il fallait convenir, entre Français et Allemands, d’un corps doctrinal constituant une sorte de colonne vertébrale. Jean-Baptiste Willermoz proposait celui de son maître Martines de Pasqually qu’il avait en partie déposé au faîte de l’Ordre en France, dans la troisième classe de la Profession établie lors du convent des Gaules. Ferdinand de Brunswick et le prince Charles de Hesse, que l’on peut qualifier de très fidèle bras droit, y ont été reçus et sont eux-mêmes dépositaires de connaissances occultes qu’il faut alors concilier avec celles du Lyonnais. Ce travail, débuté avant le convent général, est complexe. Willermoz doit avoir accès aux connaissances allemandes et les doctrines doivent converger et s’enrichir. Autant de difficultés que les différents acteurs sont appelés à surmonter.
La Tarente : Peux-tu nous dire deux mots sur « l’acte le plus important » du parcours d’un Frère au sein de l’Ordre ?
Dominique Vergnolle : Statuer sur ce point nécessite de bien situer l’objectif que se donne l’Ordre nouvellement rectifié. Le recès du convent général précise que « l’unique but de l’association (sic) est de rendre chacun de ses membres meilleur et plus utile à l’humanité par l’amour et l’étude de la vérité, l’attachement le plus sincère aux dogmes, devoirs et pratiques de la sainte religion chrétienne et une bienfaisance active et universelle ». L’Ordre se définit donc comme bienfaisant. Cette bienfaisance n’est pas un simple humanisme, car elle s’ancre dans la religion chrétienne. Les frères maçons sont donc, avant tout, « de bons chrétiens » ayant pour devenir d’être créés et armés « chevaliers de la foi », selon l’expression même du duc Ferdinand de Brunswick. La maçonnerie y prépare par l’étude et la pratique des vertus morales, religieuses et patriotiques. Mais, la chevalerie exige en complément une réelle adhésion aux articles de la foi chrétienne qui est source de bienfaisance. Cette adhésion est l’acte le plus important du frère dans l’Ordre. Sa concrétisation dans les différents rituels fera l’objet de quelques échanges et désaccords entre les frères Lyonnais et Strasbourgeois en particulier. Peut-être aussi une certaine incompréhension de la part des Allemands. Le nouveau système rectifié sera-t-il alors réellement adopté partout ?